"Que la nuit n'égare - du phare qui tremble"
Edouard Glissant
Pour celles et ceux des coffin ships, qui sont ici.
Sur
la place la lisière
d’où
sortent les nuits ou bien y entrent,
où
les feux, les lumières,
soufflent
sous le manteau des mains.
La
vie a une forme courbe, c’est ainsi
que
tous les soirs, en ombres
sous
la fenêtre, sous le bois noir
où
tout s’entend, les bruits reviennent.
Bruit
après bruit le démon qui se voit
n’a
jamais le même nom mais
toujours
se ressemble. Le démon
emporte
dans son ailleurs, à lui seul.
Dans
ses pupilles comme une eau rouge,
une
vacance à retrouver, la terre et
le vent
remplacés
par un sang délivré
de
toute peau, un sang nu.
Il
parle comme un train
jamais
pris, pourtant
tout
autour il gronde comme si
sa
gare se trouvait ici même.
Mais
dans ce qu’il dit rien ne se croit,
en
arrière des premiers pas se posent les derniers mots,
on
voit la neige commencer de tomber
là-bas
puis de moins en moins loin.
Sa
voix sonne creux, si bien
que
vaciller c’est l’entendre sonner
dans
son cœur : son corps,
et
alentour la ville comme de la chair.
Sur
les côtes se resserre une veste qui se parsème
mais
la poitrine bordée de pierre sait ignorer le vent :
depuis
la fenêtre la rue coule dans la mer
et
le cœur au creux des façades monte vers la gare.
Les
pauvres arbres : il va les tuer, le vent,
mais
au large du temps les avenues continuent ;
la
ville, délivrée comme une sainte,
parmi
le souffle déçu tend ses mains.
Et
sous les volets l’ignorance du temps,
l’ombre
qu’on rejette dans la cité,
sa
forme blanche, de même que ses yeux,
mais
encore le mur les manque, toute présence aveugle.
Là-bas
les silhouettes des choses, et à jamais
ouvert
le regard las de ces choses-là ;
elles
ne vivent pas mais sans attendre elles voient,
ces
choses avec leurs corps là-bas.
Comme
sur la ville la couverture, et aux aguets
ses
doigts déployés, matin comme soir
ses
cris, sa bave à l’horizon. Des renards
en
font le tour mais les sentir c’est se perdre.
Car
l’obscurité sans nom qu’on nomme nuit, l’appeler
n’a
ni méthode ni fin, le temps est fou de l’observer, de lui-même fou,
et
qui interroger – sans être le temps –, et dans quels murs.
Dans
la rue les animaux patinent et la rue s’enfuit.
Enfin,
le silence tombe et la fenêtre sourit
comme
un loup dans la neige, avec lui les chambres,
les
lits, leurs pieds, leurs falaises et leurs plaines.
Un
loup sait, reste là, le museau penché.
Sous
les boulevards les hommes sont partis mais nul ne voit
qu’il
a passé leurs vies sans porter leurs bagages,
nul
ne sent le loup ni les mots sur les murs,
qui
déjà, morts et vivants, ne parlent rien.
Là-haut
les cris de bois cassé
comme
des rennes dévorent les greniers,
leurs
peaux descendent ici, leur odeur
attend
le démon, à la manière d’une fleur.
Le
vent s’est couché, comment savoir
ce
qui est sans appel, qui est moment
sur
le trottoir, invisible comme chien,
brûlant
des yeux et puant de pelage,
ce
qui ne bâtit rien mais entre ses dents
porte
des choses à porter plus loin,
là
où se ferment la rue comment
savoir
cela qui dans le vent s’étend.
Sur
le sol, contre le cœur, la moitié blanchie
d’un
temps déchu, sur le plafond
tout
le reste, la moitié c’est beaucoup dire
et
partir serait traîtrise impossible.
Tous
attendent, dénudés sans le savoir,
sur
la plage au long de leurs coudes,
les
volants des voitures et les arbres au-delà,
tous
de cette ville, qui ne défilent plus et ne s’entendent pas.
La
radio morte enfouit les questions,
en
d’autres temps sortilèges,
mais
il faut savoir le nom de tout cela, c’est lointain,
dans
la cité introuvable où l’eau se fait sable.
Dans
la ville endormie une bave
de
sirènes roule la nuit ;
dans
la ville, sans le vouloir,
une
heure maritime se rapproche
pour
embarquer mais c’est le tour d’enceinte
que
fait la mort et l’oeil se ment, qui traverse le soir,
paupière
pauvre, mange le visage,
recouvre
tout, pluie en cette cité que rien ne connaît.
On
cherche des maisons comme disent les murmures,
mais
la rue ne répond rien, les façades indistinctes,
juste
un œil désormais. La ville est basse et la mémoire
halète,
et bien mieux marchent des mots gris les murailles.
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